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As far as the eye can hear est une danse accueillant ce hors-champ que sont les sons d’un parc ou d’un jardin. L’environnement le plus large pénètre et traverse le champ que les danseurs ont mesuré, là où leur exploration leur ont fait découvrir des embûches, des barrières imaginaires et des gués inventés. Le paysage imaginaire suscité par la danse est inscrit dans celui, réel, que des promeneurs parcourent dans les allées. Un épisode de la chorégraphie met en valeur le dialogue opéré entre ce qui semblerait être un lieu scénique, la clairière - aussi bien une île déserte où trois robinsons joueraient la comédie de la survie -, et l’ensemble de ce parc rempli de cris d’enfants, de poussettes, de jeunes gens en goguette, de filles accortes et de familles nombreuses, c’est celui, vers la fin de la danse, des pierres jetées du bois et tombant dans le champ demeuré vide. Le caillassage perpétré par les trois danseurs, d’abord dans le lointain, s’approche des spectateurs jusqu’au gros plan, sans les menacer ni leur donner à penser qu’ils constituent une tribu ennemie ou un gibier. Ainsi, la clairière ne cesse pas de se remplir et de se vider, ou plutôt, d’accueillir le dehors pour en faire un dedans. Les enfants s’amusent de semblable manière quand ils se découpent des propriétés fragiles aux enceintes d’herbes foulées ou de traits tracés par leurs souliers dans la poussière, ce qui permet à quiconque de traverser leur maison sans qu’ils s’en offusquent. En réalité, toute cette danse génère des possibilités de fictions inhérentes à la découverte renouvelée de la nature qu’ont les enfants dans les contes, les aventuriers dans les romans d’adolescence, enfin des adultes rêveurs continuant à se raconter des histoires avec un peu tout ( par exemple, en traînant une longue corde de plastique comme on est poursuivi par un serpent dans les hautes herbes de la savane). Nous accumulons des images qui résonnent, alors qu’elles sont suscitées par de simples indices, parce que la danse de Martine Pisani stimule une mémoire enfouie. Les actes et gestes de cette danse n’ont pas pour modèle le quotidien ni la vie, mais la redécouverte de ce qui nous a initiés à l’existence et de ce qui nous permet de ressaisir notre sentiment d’exister au présent. Sous des dehors de comédie et de burlesque, c’est d’apprentissage dont il s’agit : usage du monde et apprentissage : celui du langage dans d’autres danses de Martine Pisani, celui d’un lieu, cette clairière dont les danseurs se mettent en demeure de faire leur ici et maintenant.

Nous avons parlé de mémoire. Nous avons signalé combien le paysage même est un fait culturel et il n’est pas besoin de dénommer le domaine de Rentilly “parc culturel”, en un curieux pléonasme, pour qu’il le soit : même un jardin ouvrier l’est jusqu’à saturation. Peut-être que le temps et le travail du temps auquel Martine Pisani se réfère souvent pour parler de ses dernières danses s’inscrivent-ils dans une épaisseur, une sédimentation d’évocations. Aussi loin que l’œil peut écouter, il entend le bruit du temps, sa rumeur souterraine, son murmure.

Rejouer les premières fois, c’est réentendre par quoi elles sont relancées tout au long de notre vie : des lectures et des films. C’est avec de la culture qu’elles sont reconstruites. L’ontologie est un ferment de faux souvenirs réaménagés a posteriori. L’effet de déjà-vécu appartient tellement au paysage que tous les arrière-pays des peintures de la Renaissance nous parlent encore du vieux paradis perdu comme d’une nécessité au présent. Cette danse est donc une exhumation consciente de toutes les stimulations qui l’ont ré-amorcé : pêle-mêle, les robinsonnades d’Olivier Cadiot, la lecture serrée que Martine Pisani fait de Matière et mémoire de Bergson, les trois évadés dans la forêt du film Down by law de Jim Jarmusch, avec Roberto Benigni qui réussit à attraper un lapin, ce qui est du pur miracle, le ressassement suspendu de La dernière bande de Samuel Beckett dont l’impact originel est un émerveillement amoureux autour duquel le temps cristallise sa pelote, chevelure de jeune femme déployée au fond d’une barque et se versant dans Le nénuphar blanc de Stéphane Mallarmé où l’on rame beaucoup. Nous disons n’importe quoi ou presque pour indiquer que la clairière est un champ de fouilles et que le moindre acte, geste et mouvement des danseurs est la synthèse de toute cette nuée, de toute cette rumeur vue de loin en des proportions agencées comiques et adorables.

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