Mécaniques fragiles, Philippe Noisette, Les inrockuptibles novembre 2002
Personnage atypique de la chorégraphie, Martine Pisani sort enfin du bois. Avec une mise en scène à l’audace incroyable.
Suivre Martine Pisani, c’est prendre en filature un petit poucet de la danse, discret et pourtant singulier. On découvrit sans, trio cocasse, dans le studio surchauffé du Centre national de la danse, à Pantin. On vient de retrouver sa trace à Dieppe avec Slow down ; étape suivante : l’acostage sur les Iles (de danses) festival ébourrifé qui a le bon goût d’inviter sa compagnie du soitaire.
On la sait marseillaise, formée à bonne école auprès de David Gordon, Yvonne Rainer ou Odile Duboc, et ex-interprète du groupe Dunes. Depuis dix ans, elle signe quatuors, trios et autres duos à l’écart des tempêtes du microcosme parisien. Elle aime parler "d’intuition d’une forme qui amène à une création chorégraphique" et plus encore passr à la pratique avec ses danseurs décalés.
Prenez sans, bijou burlesque avec ces trois hurluberlus sur scène, incroyablement maladroits – autant dire surdoués ! – qui chutent, se rattrappent, se relèvent, essayent de parler et, finalement, s’abandonnent au silence. Une divagation sur une certaine forme de communication et son contraire. " il pourrait bien être question d’enchaînement de ruptures", souligne Martine Pisani. Jusqu’au final où se rejoue à trois l’action du début en accéléré. Hilarant. Forte du bon accueil de sans, la chorégraphe passe à la vitesse supérieure : six danseurs, rien que ça ! Avec Slow down, "il y a la volonté de me rapprocher du particulier, rendre visible certains détails, leur donner d’autres proportions, comme le cinéma avec le gros plan". Cela commence par des sauts de cabris, des pirouettes nez à la salle et autant de combinaisons de corps à la gymnastique périlleuse. Une "gesticulation", pour reprendre un commentaire acerbe de spectateur, qui ne doit rien au laisser-aller.
Dans cette économie de moyens - mais avec un luxe de bruits - il y a l’audace incroyable du "presque rien" mis en scène. Avec le risque, bien sûr, de meubler ce théâtre des illusions. Son karaoké final, franchement désopilant par la grâce de Laurent Pichaud et Vincent Druguet, est comme le délicieux paravent de ces faiblesses revendiquées.