Au Festival d’Avignon, autour de la chorégraphe Martine Pisani, un voyage spatio-temporel plein de charme

Le décalage horaire est tel que la chorégraphe Martine Pisani et le danseur-plasticien Theo Kooijman piquent du nez sur le plateau. Ils viennent d’arriver à Kobé, au Japon, et sont interviewés par un journaliste local frais comme un gardon. Eux le sont nettement moins, même si la conversation circule parfaitement dans le trio. Martine-san et Theo-san ont besoin de récupérer. Après un petit somme réparateur, les voilà qui se réveillent à… Avignon. Plus précisément, les voilà dans la cour de la Collection Lambert, où se déroule pour de vrai, de faux, cette rencontre franco-nippone délicieusement surréaliste imaginée par le performeur Michikazu Matsune et intitulée Kono atari no dokoka (« Quelque part par ici »).

Le voyage spatio-temporel des trois interprètes enveloppe dans une bulle irisée cette conférence dansée sur la vie et l’œuvre de Martine Pisani, artiste discrète de la scène contemporaine depuis les années 1980. Il floute les frontières, réduit les distances, superpose les époques et conjugue les langues (japonais, anglais et français) dans l’éternel présent de l’imaginaire.

Les plages de Kobé, ville natale de Michikazu Matsune, se confondent avec celles de Marseille, où est née la chorégraphe en 1958. L’Allemagne, le Danemark et la Suède ricochent les uns sur les autres, avant que l’on atterrisse en Autriche, où habite Matsune. La planète entre en giration autour de Martine Pisani. Assise à une petite table sur le plateau entièrement blanc, la fondatrice, en 1992, de la Compagnie du Solitaire – « parce que j’étais la seule danseuse de la troupe à l’époque » – est le pivot central de la conversation et l’objet de toutes les attentions de Michikazu Matsune ainsi que de Theo Kooijman, son compagnon depuis trente ans.

Dérision magnifique de la vie

La grâce de Kono atari no dokoka tient à son extrême simplicité et à sa pudeur pleine de respect. Son propos semble se résumer facilement. Michikazu Matsune raconte et interroge Martine Pisani après avoir mené une investigation sur son travail. Il ressuscite certaines de ses pièces à travers des commentaires, des images d’archives projetées ou en les dansant avec Kooijman. Leur illustration littérale d’un extrait du duo Deux femmes courant sur la plage, créé en 1986 d’après la toile éponyme de Picasso, fait sourire de plaisir tant elle se révèle aussi proche du geste cubiste du peintre que de l’esprit obsédé par l’instabilité de Martine Pisani.

Le traitement narratif et visuel minimaliste, le texte elliptique louvoyant entre anecdotes et informations artistiques possèdent une fraîcheur, une ingénuité qui charment et émeuvent. En surfant à la surface factuelle du parcours de Pisani, entrelacé avec ses propres souvenirs, Matsune réussit à en faire percevoir les remous profonds, à la manière des haïkus qui apparaissent sur scène. La dérision magnifique de la vie, la fragilité de l’art dans sa fabrication et la lutte fatalement vouée à l’échec de l’humain s’offrent ici un paquet-cadeau spectaculaire noué par l’amour, l’amitié et la foi dans l’autre.

Comment cette triplette légèrement dépareillée mais parfaitement accordée s’est-elle retrouvée dans le même fuseau horaire ? Michikazu Matsune a rencontré pour la première fois Martine Pisani en 2007. Il découvre la pièce Slow Down, dont l’un des six danseurs reste caché, « comme l’une des pierres d’un jardin japonais ». Ils se revoient ensuite dans un atelier de recherche, se perdent de vue et se croisent de nouveau en 2018. Martine Pisani est alors dans un fauteuil roulant : elle souffre depuis 1996 d’une sclérose en plaques, ce qui ne l’a pas empêchée de continuer à chorégraphier à travers le corps des autres. Matsune, fasciné par son travail sur le ratage, la chute, le manque, entreprend de plonger dans ses archives. Leur dialogue se love entre incarnation et effacement, en équilibrant magiquement le plein et le vide de l’existence.

Rosita Boisseau

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