Innover fut d'abord perçu comme une "erreur", Natasa Godevic, Novi List 13.11.2008

Première de Blink chorégraphié par Martine Pisani, interprété par les danseurs de la Zagreb Dance Company au théâtre ZeKaeM

En regardant les danseurs de la Zagreb Dance company, on a l'impression que pour eux, il est bien plus agréable et facile de créer un spectacle qui montre leur maîtrise formelle que de s'interroger, face à une nouvelle oeuvre, sur les conventions chorégraphiques qui leur sont famillières.

Martine Pisani, leur invitée française, lors de la première de Blink au ZekaeM, a tenté au contraire de dénouer le noeud serré qui étrangle le mouvement connu et de déshabituer les danseurs de ce qu'ils savent, de ce qui les rendent sûrs d'eux, de leur virtuosité, tout en les encourageant à essayer de trouver pour chaque geste un rien de désordre poétique.

Pourquoi avons-nous besoin de désordre, d'imperfection, d'erreur, de dissonance ?

Parce que l'art est directement lié à l'imprévisible, à des découvertes fortuites et pas seulement à une discipline militaire.

Libérer les objets de leur immobilité

Le point de départ de ce spectacle, selon le livret du programme, est à chercher dans le livre de Bergson "Matière et mémoire" (1896). Bien que ni le dramaturge Sasa Bozic, ni Martine Pisani la chorégraphe n'entrent dans une analyse détaillée de Bergson, se contentant de s'y référer comme source d'inspiration, soulignons que le philosophe écrit dans le livre cité qu'il "croit également en la réalité de l'objet et en la réalité de l'esprit", s'efforcant de supprimer la dichotomie entre les deux et montrant le perception comme un outil de sélection, d'appauvissement de la vraie plénitude des images et des sensations. Il est important de mentionner l'approbation de Bergson de l'intuition dans le sens d'une connaissance irrationnelle qui ne peut être assimilée à aucune classification logique ou raisonnable.

En regardant "Blink", on a vraiment l'occasion d'atteindre à une profonde compréhension de Bergson par l'auteur, et à la réalisation de sa fameuse phrase : "En bref, essayons de relier les objets de notre existence quotidienne, puis de les libérer de leur immobilité pour les livrer aux vibrations du mouvement".

Les danseurs entrent en scène de tous côtés, ils apportent avec eux différents objets (empruntés à la réserve du théâtre), ils les essayent, tentent de changer leur destination (de revêtir une bache en plastique comme un manteau de cérémonie, de prendre des poses héroïques sur une petite planche à roulettes, de ramer avec un long baton en fer, de dessiner sur le sol avec un balai, etc...) ou simplement ils essaient de faire traverser le plateau l'objet choisi, à leur façon, avec beaucoup de sauts sur une ou deux jambes, comme autant de clignements d'yeux adressés au public.

Essorer l'éponge

Le problème arrive quand ces objets trouvés apparaissent plus vivants que les danseurs : le petit escalier à roues bleues semble plus autonome qu'Andreja Siroki, qui adresse un sourire absent au public, ne sachant que faire de la liberté que lui offre la performance dans ses choix ; certains danseurs proposent des solutions plus intéressantes pour "animer" la matière, comme Darja Dokdor – verser de l'eau sur la scène, prendre un bain de soleil sur un long pendrillon noir -, ou comme Marko Jastrevski, empêtré dans sa corde ; ou encore comme Zrinka Lukcec qui refuse que laver le sol ne soit qu'une tâche de nettoyage. Mais les danseurs communiquent un malaise si grand qu'il devient la signature particulière du spectacle. Ce sont Sara Barbieri et Ognjen Vucinic qui s'en sortent le mieux, en débridant tous deux la gâchette de leur jeu et en faisant un duo harmonieux, entre l'essorage d' une éponge et un déplacement hédoniste, rapide, synchronisé des mains et de la mousse sur toute la surface en bois du plateau.

La recherche des possibilités offertes par une légère "vibration" telle que le clignement d'une paupière ( tourner la surface du monde vers soi-meme) s'est révélée une méthodologie créative que les danseurs craignent, de même qu'ils redoutent la prise de position de la chorégraphe, en même temps qu'ils se sentent passionément attirés par elle.

On regrette que Martine Pisani n'ait eu la possibilité de travailler en Croatie que pour une seule et unique représentation : la faculté qu'elle a de désigner la "maladresse" et le "malentendu" comme des issues pour échapper aux bases et théories archi connues du mouvement ; le courage qu'elle montre à étreindre "l'erreur" comme une méthodologie d'invention artistique, pourrait servir de prescrition thérapeutique au théâtre Croate.

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