Le langage, un guide vers le néant, Lena Schneider, Potsdamer 09.03.2007

Il semblait qu'on ne pourrait s'égarer au cours de cette soirée. L'étude de mouvement de la chorégraphe parisienne Martine Pisani est balisée d'indicateurs, de signaux trop explicites qui révèlent au public le thème de la scène en cours. La première scène par exemple : trois hommes trébuchent l'un sur l'autre, se croisent sans se voir, les bras tâtonnant l'espace, comme s'ils étaient aveugles. Soudain l'un d'eux se tourne vers nous - c'est notre "indicateur" - et déclare : "the fog", le brouillard. Puis il se retourne et reprend sa place dans la scène. Rires du public. Sont-ils déclenchés par le ton sérieux de l'annonce où ne perce aucune ironie ? Par le passage sans transition de la représentation à la description ? Ou parce que la signification de la scène que nous, public, étions encore en train d'explorer nous est soudain donnée nonchalamment ? C'est donc entre toutes des questions que nous hésitons de fait dès la première scène.

La nouvelle pièce de Martine Pisani est pleine de ces rires, déclenchés par une évidence feinte. De situations cocasses mal interprétées et d'énigmes dont la résolution nous paraît trop simple. C'est l'intuition, qu'un non-dit se cache dans la scène banale à laquelle nous assistons qui rend le travail de Martine Pisani si intéressant. Parce qu'elle donne d'emblée la première interprétation qui viendrait à l'esprit, le public se met à la recherche du sens obtus : Qu'y at-t-il là-dessous ?

Le langage dans les pièces de Pisani ne nous éclaire en rien. Bien au contraire, il est utilisé comme un piège : il feint d'expliquer, et par là dissimule. Il est en effet peu question de brouillard dans la première scène, mais de ces croisements-ratages, de myopie au sens figuré, de la recherche acharnée de "clairvoyance". Et il s'agit biensûr aussi d'un jeu autour de la performativité ; ce qui compte, c'est simplement le moment du jeu, "le bel ici" évoqué dans le titre.

La relation traditionnelle entre danse et rythmes musicaux laisse Pisani indifférente. Et c'est heureux. La recherche passionnée de l'instant présent est tangible dans chacune des scènes même en l'absence de musique, si ce n'est plus. On peut ainsi prêter une oreille d'autant plus attentive à la musique des langues françaises, néerlandaises, espagnoles et portugaises qui nous sont données par bribes. Et le silence occupe entre temps un rôle singulier. Pour certains spectateurs, cette distribution n'est pas inhabituelle. Mais lorsque sur la scène règne une minute d'immobilité absolue, L'impatience des autres est palpable. Là non plus, l'indicateur approprié ne fait pas défaut: "Time is passing by", commente l'un des danseurs, proférant à voix haute ce que nous, public, pensions. La tension se relâche en rires de soulagement. Cette chorégraphe et ses danseurs ont un don étonnant pour ressentir les attentes et les désirs du public - d'autant plus quand ils décident de ne pas y consentir.

Alors que le programme "Neue Triebe" – littéralement "nouvelles pousses" - nous invite à "vivre l'explosion du printemps autrement", la Fabrik a tenu ses promesses. Le spectacle de Martine Pisani est une introduction idéale à la nouvelle saison de danse de la Fabrik . Les éclosions ne sont pas forcément bruyantes, mais elles doivent retentir.

Article traduit de l'allemand par Suzanne Viot

biographies

contacts

spectacles

24 heures

postdamer

resmusica

festivalier

autres activités

Hors sujet ou le bel ici

bonus

historique -

images -

texte -

presse -

cie martine pisani

calendrier

cie martine pisani

français

english