Gérard Mayen, Mouvement.net 20.11.2002

Martine Pisani écrit une réjouissante poésie gestuelle de la présence maladroite.

C'est en gommant de leur visage l'expression des affects que les danseurs contemporains laissent d'autant plus de place au langage du restant de leur corps. Le masque neutre leur est une figure quasi obligée. On le comprend. Reste pourtant à savoir comment, partant de ce masque neutre, ces interprètes dérivent si volontiers vers le masque sinistre, qui est au bout du compte aussi surinvesti, envahissant, qu'un autre.

Il y a donc un sacré toupet dans les masques réjouis tout au contraire, de duduches naïfs, tendres et ravis, qu'arborent le plus souvent les grands gaillards (cinq garçons pour une seule fille, c'est à remarquer) que fait danser Martine Pisani dans Slow down. Mieux : leurs regards ont des directions manifestes, qu'elles soient hors champ ou adressées aux spectateurs. Ces interprètes sont investis dans leur présence. Passant et repassant, apparaissant et s'effaçant de derrière un panneau, comme le plus simple et visible des artifices clownesques. Ce sont des personnes, pour un moment là, avec vous.

Ce ne sont pourtant pas des personnages. Ils ne jouent pas de rôles. N'ont pas de raisons avérées de sourire, de regarder comme ceci, ou comme cela. Ils sont présents, mais leur danse est abstraite, qui ne montre rien d'autre que cette présence. Celle-ci réjouit, la rencontre est heureuse ; mais une étrangeté plane, entre liberté cadrée et décalage consommé, généreusement poétique, finement ressentie.

En passant du trio de Sans à cette nouvelle pièce pour six interprètes, la chorégraphe enrichit son écriture, et la met au service du thème, fort en vogue, qui consiste à mettre en jeu ce qui fait ou qui défait les groupes. Dans Slow down, on balbutie les unissons, on articule des abracadabrances, on enchaîne des frises. On saute à la kangourou, le haut du corps laisse échapper le bas, on se fait peur à tomber. Gentiment embarrassés, tout en légèretés brisées, les corps ont des souplesses coudées de figurines en caoutchouc. Ce sont des affaires d'équilibres posturaux appuyés, de respirations soulignées, de ritournelles bredouillées.
Si ces interprètes jouaient du théâtre, s'ils ne faisaient que parler -ils le font un peu parfois- le texte que suggèrent leurs gestes résonnerait entre Queneau et Lapointe, s'emballerait en cadavres exquis, s'émaillerait de néologismes et contrepèteries. Car les membres ne se plient pas dans le sens attendu, les mouvements se communiquent avec drôlerie, les coïncidences des contacts sont tout incongrues.

Tout cela est extrêmement réglé, savant, virtuose, quoique troussé de quelques principes de composition aléatoire -brusques changements de lumières calés toutes les dix minutes indépendamment de la dramaturgie, redistribution des entrées, apparitions de textes non sus. Devant tant de maîtrise, on a plutôt du mal à comprendre que Martine Pisani et son équipe protestent haut et fort que leur intention n'est pas de faire rire les spectateurs (ce qui ne manque pas de se produire, d'abondance). D'autant que la chorégraphe a la référence heureuse lorsqu'elle cite L'homme sans passé de Kaurismaki pour illustration magnifique de son idée de la luminosité des visages comme plus grande nudité.

De deux choses l'une. Ou bien il s'agit pour eux de faire amende honorable face à la pression supposée d'une esthétique obligée de la danse contemporaine qui interdirait qu'on y rît. Ce serait sinistre, tant l'humour - et l'insolence de penser que tout n'est pas forcément grave - semble un bon marqueur de certaine intelligence. Ou bien - plus ennuyeux - ils ne sont pas parfaitement conscients de la portée de leur entreprise. Et dans ce cas le risque les guette en effet, déjà affleurant ici ou là sur une partition de maladresses écrites et de naturel en porte-à-faux, de le céder au cabotinage, de recourir à des recettes, pour reconduire toujours la même pièce comme un ping-pong de la poésie.

 

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