Les faux pas de Pisani, Muriel Steinmetz, L'Humanité 10.12.2002
(...) Le festival les Îles de danses met en avant la notion d’auteur. La chorégraphe Martine Pisani, par exemple, ne part pas de rien. Slow Down, sa dernière création, met en évidence des états de présence habituellement bannis du plateau. On trébuche, on se prend les pieds dans le tapis, on rêve, on paresse, on se déconcentre, bref, on semble à côté de ses pompes. Cette partition du presque rien, voire du nul, détourne le spectateur du sérieux de mise en face de la discipline. Les rires fusent dans les gradins, comme quand on lit Bouvard et Pécuchet. Or, faire un faux pas ce n’est pas seulement commettre une maladresse, c’est aussi consommer de la danse contemporaine. La tourner en dérision. Exit le contrôle exercé sur le public, lequel, sans oser l’avouer, ne comprend souvent pas pourquoi ce qu’il regarde l’ennuie tant. Martine Pisani, à son corps défendant ou pas, montre qu’une certaine danse contemporaine ne véhicule plus que le message suivant : "Je suis la danse contemporaine".
Slow down, ouvre parfaitement réglée, a été pensé, à n’en pas douter, dans un rapport systématique de différences, de simplification de la discipline. La chorégraphe a renforcé son collectif. Ils étaient trois pour sans ; ils sont aujourd’hui six. L’inénarrable Laurent Pichaud, grand mince, aux yeux lunaires dans un visage pointu, remplit à merveille le rôle du jeune interprète au naturel emprunté. Il fait mine d’être obséquieux devant le public. Les yeux baissés, la démarche lente, l’air recueilli, il trébuche. Tout son art consiste à vouloir sans pouvoir. Il veut se montrer et il se cache. Les figures obligées, comme au patinage, sont interprétées par des gens qui font exprès d’être empotés. Le tas, le mouvement de foule, la chaîne, les portés deviennent chez eux une simple panoplie qu’ils exécutent pour rendre plus grave la danse et plus sérieux son déroulement. Or, la gravité trop poursuivie vire au comique. Superbe de drôlerie, non sans une pointe de médisance, ce colloque improvisé sur la danse contemporaine. Les interprètes, au micro, se gaussent de mots savants, emprunts de " physiologie ". N’y a-t-il pas là une mise en coupe de certains livres sur la danse, lesquels peuvent tomber des mains sitôt ouverts? Chacun y va de sa petite formule, avec un air savant, encore que l’on s’arrête dix fois sur un mot, une phrase, une formule. Tout le travail de l’esprit transpire depuis le maintien du corps. Martine Pisani rend ainsi compte, en détail, des ridicules de sa profession, qui tente parfois de transformer en "cela va de soi " des attitudes un rien obsolètes. (...)
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