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Grands écarts et faux pas, Muriel Steinmetz, L'Humanité 16.04.2002

Elle dicte l’hésitation, le déséquilibre, le trébuchement, à des danseurs qui ont toujours l’air d’être à côté de leurs pompes. sans, présenté au Centre national de la danse (CND) de Paris, convoque trois danseurs (les excellents Theo Kooijman, Laurent Pichaud et Olivier Schram) qui, d’entrée de jeu, rasent les murs, avancent à reculons, tournent le dos au public. Leur espace est celui de l’évitement. Sous toutes ses formes. C’est précis, riche d’humeur comique, sans que soit recherché un rire trop facile.

La singularité de cette pièce consiste à tenter l’impossible surgissement du faux pas, dans ses mille versions scéniques. Les interprètes ne s’appuient sur aucune narration. Le thème est celui de la présence improbable des trois compères, sans cesse jouée et déjouée au petit poil. Les corps vibrent d’une incertitude, certes contrôlée, sans qu’il y paraisse. Ils réussissent à valider une manière très physique de signifier l’écart, le trébuchement, où nous pouvons reconnaître nos propres manques.

Face à ce spectacle, nous-mêmes ne savons plus sur quel pied danser. Une inquiétude s’inscrit au coin de l’oeil de chaque interprète, que contredit en quelque sorte leur allure de petits princes animés de tremblements. L’un s’aventure dans un grand écart maladroit, puis dansotte, raide, tout à son labeur d’élève appliqué. Un vrai pensum. Les deux autres, de dos, évitent tout contact avec le public, prennent l’air occupé, mais l’agitation de leurs mains crispées révèle certaine difficulté à s’exhiber sous les projecteurs. Puis l’un s’arme de courage, ose dévisager le public, pour se mettre ensuite les mains devant les yeux. Avec un naturel emprunté, il esquisse alors ses gestes à l’aveugle. Son voisin pousse un cri de douleur, avant de tâtonner à la recherche d’on ne sait quelle danse. Il s’embarrasse de gestes qui se cherchent eux-mêmes, le bras au sol quête le bras en l’air, le pied gauche tente de saisir le mollet droit.

Chez Martine Pisani, l’anatomie constitue une fabrique d’éléments dessoudés. Chacun est dans son corps comme dans une famille nombreuse. Le pied trébuche car il a pris une autre direction que la jambe, l’avant-bras et la main ne sont pas d’accord. L’incohérence n’est pas soulignée, elle affleure simplement tout du long. L’un des trois hommes explique, en italien, avec force gestes, quelque chose qui nous échappe, faute d’avoir été bien traduit par un autre qui oublie ses mots. Chaque courte scène s’achève sans claire motivation, comme un enfant change de jeu quand ça lui chante. Les trois danseurs viennent nous mettre leur état d’esprit sous le nez, tour à tour anxieux, paranoïaque, détaché, avant d’entamer un sourire à trois bouches. La scène dure un certain temps. Après cette mise en abîme, grave, chacun chante, comme à son tour, des bouts de mélodies qu’il accompagne de postures enfantines. L’un baragouine des " nin...nin...nin " en balançant son corps d’adulte avec une nonchalance primitive ; tous portent haut leurs dispositions infantiles. On marche à quatre pattes, on tourne par terre, bien assis sur son derrière, on évolue en crabe. Après cette débauche de puérilité très ajustée à chaque personnalité, les trois hommes perdent leur enthousiasme, s’ennuient, tournent en rond, broient du noir, la tête entre les mains. Très vite leurs forces reviennent pour un nouveau tourbillon d’actions, sous la forme du jeu baptisé " Un, deux, trois soleil ", où tout faux pas mène à la perte. Les gestes, stoppés net, sont montés en épingle caricaturale. Puis chacun répète, comme un perroquet, les mouvements de son voisin le plus proche.

Psittacisme organique. Le souffle devient enfin maître du jeu. Des êtres mous se plaquent au sol, à l’injonction du mince filet d’air exhalé par la bouche du voisin. Ces créatures vides, toute énergie disparue, tombent comme un soufflé. Maintenant remis de cette léthargie collective, tous trois, encore figés, semblent devenir esclaves de leur index. Indique-t-il la voie à suivre ? Ce petit bout de chair mobile affecte un semblant de vie autonome. Ce n’est qu’un doigt, mais il porte la scène, affecte les corps d’un sens intentionnel, orchestre mystérieusement l’ensemble. L’index pointé impose au corps sa décision. Plein d’esprit, il suppute, hésite, minaude, désigne ses humeurs, montre finalement au trio la porte de sortie. Le public reste seul, mais le trio ne tarde pas à revenir. Se sont-ils fait passer un savon en coulisse ? Ils entament alors une hilarante satire de la danse contemporaine. La notion de tas, figure diablement à la page, ils la passent au crible de la critique, créent un incroyable imbroglio de jambes à la renverse, d’échines esquintées, si bien que l’on croirait voir un paquet de viande vendue à la cheville. Les portés contemporains sont également leur cible. Martine Pisani reprend à son compte des figures de style qu’elle vide de leur substance. Ne reste que l’enveloppe, hésitante, celle de trois jeunes gens, au moi corporel sacrément divisé. Ce sont des êtres, malgré eux incarnés et qui n’en reviennent pas. Chez eux, le corps trépigne sous des poussées de colère et l’oeil reste invariablement grave. A l’instar d’une vidéo du chorégraphe Xavier Leroy, le trio rejoue la représentation dans sa version accélérée, avec un sens du comique qui force l’admiration. C’est habilement monté. Du grand art. Marrant de surcroît.

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